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Esclavage moderne, travail forcé : comment vivent les ouvriers du Qatar ? Venus d'Asie pour l'essentiel, ces travailleurs migrants bâtissent l'Emirat qui doit accueillir la Coupe du Monde de football en 2022.
Certains y laissent leur vie : 44 ouvriers népalais seraient morts entre début juin et début août l'été dernier, selon le quotidien britannique The Guardian. D'autres sont exploités. La semaine dernière, Amnesty International dénonçait des salaires non payés, des logements insalubres ou conditions de travail dangereuses.
Le chantier du Sheraton Park, à Doha, est opéré par QDVC, une société qatarie dans laquelle Vinci a des parts © Radio France - Julie Bloch-Lainé
A Doha, pas un coin de ciel sans une forêt de grues, pas une route sans palissade... Les ouvriers sont à l'œuvre partout. Au total, 500.000 migrants (un quart de la population du Qatar) sont venus d'Inde, du Népal ou des Philippines pour bâtir des tours, des routes, des métros, et bien sûr les futurs stades de la Coupe du Monde de football de 2022.
Des chantiers si nombreux que les règles de sécurité n'y sont pas toujours respectées. Les accidents sont nombreux : un millier l'an dernier selon le principal hôpital de Doha. Une centaine d'ouvriers en sont restés handicapés, selon Amnesty International.
Pourtant, certaines grandes entreprises le jurent : elles sont vigilantes. L'entreprise française Vinci tient à montrer que ses ouvriers ne sont pas mis en danger. Sur le chantier du Sheraton Park à Doha, 2.000 ouvriers travaillent à construire un parking de quatre niveaux, sur sept hectares. "On vérifie que tous les ouvriers portent les équipements de sécurité. On est à 3 millions d'heures travaillées sans accident", souligne Thibault Peniguet de QDVC, la filiale qatarie de Vinci.
Le chantier est équipé de points d'eau, de ventilateurs, d'une salle de repas climatisée... Car l'autre risque majeur, c'est la chaleur : il fait jusqu'à 50 degrés l'été. Les ouvriers travaillent 10 heures par jour, six jours sur sept.
Mais cela ne suffit pas à garantir que les ouvriers sont bien traités. Les abus les plus lourds viendraient dans de nombreux cas de PME du bâtiment, sous-traitantes de ces grands groupes internationaux, selon le constat d'Amnesty International.
Sur ce chantier du Sheraton Park, la moitié des 2.000 ouvriers sont ainsi employés par des entreprises sous-traitantes. Ce sont elles qui les logent par exemple. Une fois sortis du chantier, rien ne dit qu'ils sont bien traités : "C'est forcément le point faible, c'est lorsqu'ils sont en dehors de notre chantier. On fait donc des visites de ces bases de logements", admet Yannick Garillon, directeur général de QDVC.
Car pour ces ouvriers, travailler au Qatar peut vite virer au cauchemar. Certains sont à la tâche 12 voire 14 heures par jour, sept jours sur sept. D'autres sont logés dans des camps, parfois proche du bidonville. "On est 10 dans une chambre, il n'y a plus du tout d'espace. Et il n'y a pas de douche, juste un vieux tuyau. Parfois il y a de l'eau, parfois il n'y en a pas" , détaille un ouvrier indien arrivé il y a deux ans...
Pour d'autres enfin, c'est la mauvaise surprise en arrivant : ces ouvriers sont recrutés dans leur pays d'origine. Ils s'endettent généralement pour venir, mais quand ils arrivent, c'est la déconvenue. Nour pensait gagner 1.000 rials (200 euros) par mois. "C'est ce que m'avait promis l'agent qui m'a recruté", explique ce jeune Népalais de 21 ans. "Mais en arrivant c'était 600 (120 euros). Alors j'ai dit, je ne travaille pas ici. mais on m'a dit : tu es obligé de travailler".
Plusieurs organisations réclament aujourd'hui une amélioration du sort des migrants au Qatar. L'ONU, la Confédération internationale des syndicats ou encore Amnesty International, qui a remis un rapport la semaine dernière.
Parmi les priorités : réformer le système de la Kafala, autrement dit du parrainage. Au Qatar, tous les travailleurs migrants sont parrainés par leur employeur. Sans l'autorisation de l'employeur, ils ne peuvent pas changer de travail, ni même quitter le pays, "ce qui conduit à tous les abus", explique Stéphan Oberreit. "Le Qatar a promis un comité pour réfléchir à une évolution de ce système. Il faut le supprimer", poursuit le directeur d'Amnesty International France.
Signe encourageant selon lui, les autorités du Qatar admettent des abus et se disent prêtes à évoluer. Mais il y a urgence : chaque heure, 20 ouvriers arrivent au Qatar. On estime qu'ils seront un million de plus d'ici au coup d'envoi de la Coupe du Monde en 2022.
source franceinfo