
L’Éducation intégrale est une expression du vocabulaire des socialistes qui signifie, dans leur programme, la distribution gratuite aux frais de l’État et l’acceptation obligatoire de la part des familles, d’une éducation identique pour tous les enfants, afin que la diversité des conditions auxquelles ils arriveront dans la vie soit tout entière du fait de leurs dispositions naturelles et ne se ressente en rien de la condition des parents.
Ce serait là, en matière de formation des générations futures, le couronnement de la voie inaugurée depuis longtemps par l’enseignement universitaire, et auquel l’enseignement libre a dû plus ou moins se conformer, à raison de l’influence des programmes d’examen placés à l’entrée de toutes les carrières libérales. Si bien qu’en France on prépare plutôt des bacheliers que des hommes ; - ce à quoi les conservateurs libéraux, qui ont reçu eux mêmes cette formation d’esprit dans le moule classique d’où sortirent les Jacobins ne paraissent pas prendre garde.
Par contre, pour les conservateurs sociaux, l’éducation intégrale, en prenant ce mot dans le sens d’une éducation destinée à développer intégralement toutes les facultés de l’homme selon sa condition, devrait consister à tous les degrés, depuis l’école primaire jusqu’à l’enseignement supérieur, dans l’application, infiniment variable d’ailleurs, du programme suivant :
Instruire l’enfant dans trois arts et dans trois disciplines :
a) la lecture, pour lui apprendre à entrer en communication avec la pensée de l’humanité et non pas seulement avec celle des voisins ;
b) l’écriture, pour lui apprendre à communiquer sa pensée à l’humanité et non pas seulement à ces mêmes voisins ;
c) le calcul, pour le mettre à même de se rendre compte des combinaisons de la matière, alors qu’elles ne tombent pas immédiatement sous les sens.
A ces trois arts se rattache, en effet, comme à ses points de départ, l’ensemble des connaissances que l’on appelait jadis les humanités, - c’est-à-dire l’histoire, les lettres et les sciences naturelles.
Quant aux trois disciplines philosophiques d’une éducation intégrale, ce serait pour le jeune homme de toute condition :
A. la morale sociale, pour lui apprendre à sentir ;
B. l’histoire sociale, pour lui apprendre à réfléchir ;
C. l’économie sociale, pour lui apprendre à vivre.
Aujourd’hui trois choses aussi font défaut pour réaliser ce programme d’éducation :
1° des parents pour le réclamer ;
2° des maîtres pour l’appliquer ;
3° des élèves pour en profiter.
Aussi, ceux-là même à qui le patriotisme commande de dire que la jeunesse française est de tous les peuples civilisés celle dont l’intelligence est naturellement la plus prompte, sont-ils obligés de reconnaître que cette jeunesse est, en même temps, celle dont le jugement est le moins formé
René de la Tour du Pin - Etudes sociales et politiques - 1909