Les délocalisations sont devenues, en quelques années, une véritable angoisse pour de nombreux travailleurs qui craignent de voir leur emploi partir à l’étranger pour ne plus revenir, et cette angoisse est encore plus vive depuis 2008 et en cette année 2012, alors que les derniers chiffres de l’emploi annoncent un millier de chômeurs supplémentaires chaque… jour ! Pour de nombreux investisseurs et industriels, ces mêmes délocalisations sont, disent-ils, la seule solution pour rester compétitifs ou pour investir les marchés des puissances émergentes, en particulier l’Inde et la Chine. En fait, dans la plupart des cas, il s’agit d’une implantation dans une zone où le coût de la main-d’œuvre est moins élevé, où l’entreprise produit mais où elle ne vend pas vraiment, destinant ses productions au pays dont elle est issue... Ainsi, par une cruelle ironie du sort, les chômeurs faits par les délocalisations restent les clients des entreprises qui délocalisent pour ensuite vendre moins cher…
Mais, à la suite de Philippe Villemus dans son ouvrage « Délocalisations : aurons-nous encore des emplois demain ? », il faut distinguer les « délocalisations pures » et les « délocalisations de conquête » : les premières sont les plus dangereuses et les plus destructrices, car elles « détruisent directement des emplois, puisqu’elles consistent à fermer ou à réduire une activité pour la transférer à l’étranger » ; les secondes « réalisées pour pénétrer un marché étranger, ne suppriment pas directement des emplois dans le pays d’origine ». Ce dernier type de délocalisations « ne crée pas de nouveaux emplois, mais n’en détruit pas non plus (c’est un manque à gagner en création d’emplois). (…). Le risque est cependant de voir, à terme, cette délocalisation partielle de conquête, parfois indispensable, être suivie du transfert total de la production (ainsi de la Renault Logan, produite en Roumanie, initialement pour les seuls ex-pays de l’Est, et qui est finalement commercialisée aussi en France) ». Cela étant, pour les ouvriers français qui se retrouvent sans emploi, la différence n’est qu’un détail, la triste réalité sociale étant la même dans le pays d’origine de l’entreprise délocalisée pour les salariés concernés.
Au-delà des emplois qui disparaissent ainsi dans notre pays, il y a aussi, non seulement les savoir-faire, parfois transmis de génération en génération au sein de certains secteurs, parfois plus récents (et non moins importants), mais aussi les technologies et les machines-outils qui vont avec, ce qui est d’autant plus dommageable que les pays d’accueil des délocalisations « récupèrent » utilement ces mêmes technologies, au risque de se passer bientôt des entreprises qui les y ont transférées…
D’autre part, pour de nombreuses multinationales « globalisées », les délocalisations ne sont rien d’autre que le meilleur moyen d’utiliser « le vaste monde » et ses potentialités pour satisfaire aux appétits des actionnaires, les vrais maîtres de l’économie financiarisée de Marché. Les travailleurs ne sont, pour eux, qu’une « variable d’ajustement », qu’une masse d’individus interchangeables et utilisables au meilleur coût… Ce n’est évidemment pas l’avis des royalistes qui n’oublient pas l’éminente dignité de chaque homme, quelles que soient ses qualités et ses origines, et qui luttent pour rappeler cette vérité première, au rebours des discours cyniques et sinistres des économistes éclairés qui ne raisonnent qu’en termes de « chiffres » et de « rentabilité »…
Faut-il interdire les délocalisations ? Soyons clairs, dans notre monde globalisé et consumériste, une telle mesure n’aurait aucune efficacité et, même, provoquerait une réaction en chaîne qui affaiblirait encore plus notre pays en le marginalisant sur la scène économique internationale.
Par contre, il est des solutions différentes et sans doute plus efficaces si elles sont soutenues par une véritable volonté politique de l’Etat, par un néocolbertisme industriel intelligent et actif sans être étatiste :
- d’abord, soutenir massivement la Recherche et la Formation pour pouvoir relever le défi des nouvelles donnes économiques et la concurrence des pays étrangers : la « matière grise » est sans doute la plus grande richesse de notre pays, et elle est encore trop négligée malgré les nombreuses qualités et capacités de nos instituts de recherche et de nos grandes écoles, entre autres ;
- ensuite, développer de nouvelles activités liées à la nécessaire politique d’Aménagement du territoire (par le biais, par exemple, du « télé-travail ») et envisager une relocalisation d’activités destinées à une production et consommation de proximité, dans le domaine agricole par exemple ;
- enfin, mettre en valeur ce qui peut attirer des investisseurs étrangers et qui ne peut être, par nature même, délocalisé, comme le patrimoine historique et touristique ; etc.
- Ce ne sont que quelques pistes de réflexion que les royalistes sociaux avancent ici : cet article a vocation, non pas à clore le débat, mais à « ouvrir la boîte à idées », pour que la France ne devienne pas un désert industriel mais trouve de nouvelles forces dans les mutations actuelles dans le respect de son environnement, autant écologique qu’économique et historique…
Jean-Philippe CHAUVIN